23 oktober 2007

LA VIE EN PROSE


‘Toujours là toi, à faire le scribouillard?’
Sa moue m'esquisse tout le dégout pour la gente de noircisseurs de papier. Depuis toujours il me range du côté des empêcheurs de tourner en rond et autres ‘emmerdeurs publics’. Il est du genre à changer de trottoir pointant le nez vers les astres, plutôt que de s’abaisser à saluer des minus de mon espèce. Mais là il n’a pas le choix. Le hasard nous plante dans la même loge de ce club de foot qui défend la Belgitude. Ce soir: contre les Tottenham Hotspurs.

Une mi-temps déjà, qu’il m’empeste l'air des volutes bleuâtres de son cigare. Le rechauffement de la planète, c’est lui. Rien qu’avec sa collection de Davidoffs il ferait fondre les neiges du Kilimanjaro. Ses humidificateurs pourraient reboiser tout le Sahel.

‘Pour moi tous les journalistes sont des fouille-merde’.
‘Belle rencontre’, je lui dis. ‘Dommage du contre. Est-ce que je n’ai pas raison? Anderlecht champion’.
‘Tous des fouilles-merde... Enfin je ne dis pas ça pour toi.’

Bien sûr que non. Quoi que.

‘Qui ça regarde si Bill se fait sucer le cigare à La Maison Blanche? Tout le monde à droit à sa pause-gaffe.’

Il se suce du feu lui, dans son volumineux Montechristo. Et des champignons, genre roman de Boris Vian, dans les poumons. Il me jette un regard pour voir l’effet de ses dires. Me souffle en prime ses nuées cancérigènes. A l’évidence il veut me voir crever sur place. De préférence sans acharnement médical. Ni soins palliatifs.

‘Ils méritent de gagner’, je lui lance. ‘Est-ce que je n’ai pas raison?’

Il me sort l’histoire de Mitterrand & Mazarine. D’Albert & Delphine. La liberté du père de famille. L’opportuniste de Dutronc, pas de doute: encore lui. Depuis des decennies qu’il retourne sa veste. Toujours du bon côté. Mistral gagnant à tous les coups. L’université de la rue, puis marchand de paroles. Dans le vent il l’est depuis toujours. Même qu’il a fait fortune avec: il vend du vent.

‘Tu vois ces panneaux publicitaires qui défilent autour du terrain? C’est nous. Avoue que ça t’embouche un coin.’

Il dit ‘nous’ quand il parle d’une de ses multiples sociétés écran ou plutôt: paravent. Avec siège social oû tu ne payes pas d’impôts.

‘Jonathan Legear est en forme’, je lui dis.

‘Mais dis-moi, mosquito’, qu’il me poursuit, ‘qu’est-ce que ça gagne la journaille comme salaire de pauvre? Juste de quoi te payer un Resto Du Coeur avec Ticket Restaurant du patron?’

Il me tape l’épaule, s’esclaffe. Fier de lui. Comme d’habitude.

‘Ou tu fais ça juste pour voir les matches de foot à l’oeil?’

‘Faut que je rentre. J’ai un papier à terminer.’

Il a l’air de ne pas vouloir me croire.
(Il n’a pas tort. Une fois n’est pas coutume).

Dans les allées du Parc Astrid je respire. Sur le chemin du retour je me choisis Cabrel. En pensant à Elle.

Je voudrais quand-même
te dire
que tout ce que j’ai pu
écrire,
je l’ai puisé à l’encre
de tes yeux.


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‘La vie en prose’. ‘Journal intimide’.
Autofiction. (Work in progress).
Illustration: 'San Gemignano. Barbouillages sur toile.'
Copyrights: Stef Vancaeneghem.