LA VIE EN PROSE
Tu sais mon cher Stéphane, moi la Belgique je m’en moque. Je suis franchement comme tu le sais, pour le rattachement de ma bonne Wallonie à la France.
Il m’observe du coin de l’oeil. Pour voir s’il m’embouche un coin une fois de plus avec ses âneries que je connais depuis belle lurette. Je sais donc déjà tout le discours qu’il va me servir. Mille fois qu’il me l’a débitée, son opinion à la con.
A chaque fois j’espère qu’il aille se faire voir ailleurs, surtout loin de moi. A chaque fois le protocole de table nous fourre face à face. (Le Flamand et le Wallon qui s’entendent à merveille un vrai plaisir à voir si tout le monde était comme ces deux-là on aurait un gouvernement depuis longtemps).
A chaque fête, à chaque régal il me les casse. Il vient du fin fond du plat pays qui est le sien. Avec les terrils comme vagues dunes. Et, pour rêver d’un autre monde, rien que la lune. Il vient de loin derrières mes vertes collines qui depuis toujours et à jamais coupent notre univers en deux lointaines planètes.
Un Kirr Royal, deux verres de Pinot Gris et ça y est: ça repart. Tout y passe. J’ai droit à la totale. L’inventaire de sa de sa colère. Les Ménapiens. La collaboration. La question royale. Les Flamands: nazis durant les guerres et catholiques entre elles. Tout le répertoire de cette rancune atypique et mineure pour l’oeuvre Brelesque, immense du reste. Jamais il ne me parle des Marquises, d’Amsterdam, d’ Orly. De toutes ces perles.
Un emmerdeur de première. A me gâcher le plaisir d’apprécier les cailles. De savourer le gratin daupinois. De toutes ces succulences liées aux bonnes choses de la vie.
Je sais les salades qu’il veut encore me vendre. La France, comme si elle était sienne. Clovis. Jeanne d’Arc. Louis XV. Napoléon. De Gaulle. Grandeurs et Splendeurs. Chambord. Château Chinon. Le Trianon. Le Musée d’Orsay. Vive la France! Vive les territoires d’Outremer! Algérie Française! Vive le Québec libre! Wallonie Française!
En parlant de Napoléon, une envie soudaine me prend de lui dire le mot de Cambronne. Mais je savoure, je déguste. A mon age ces moments exquis deviennent rares. Interdits trop souvent: pour cause de calories. Et par celà d’autant plus précieux. Qu’il aille se faire voir à Honfleur, à Vesoul.
Il renifle son ballon…d’Alsace. Fait danser le vin qu’il vaut pourtant mieux ne pas trop bousculer. Il imite les gestes du connoisseur qu’il est très loin d’être. Joue son sommelier de cantine. Me regarde d'un oeil imbu de trop de piquette. Mesure ses effets d’agent provocateur de bout de table.
Très bien je lui dis. Le rattachement de la Wallonie à la France? Très bien. Seulement…..
…Seulement quoi, le Flamand? qu’il me jette d’un regard triomphal, avant l’heure.
…Seulement: j’en connais un qui va vous voir venir. Au Kärcher qu’il va vous passer.
Bon, qu’il me lance d'un regard outré: Il faut que j’aille me tordre la praline.
‘La Vie en Prose’. ‘Journal Intimide.’ Illustration: ‘Canal Grande’. ‘Mes barbouillages sur toile’. Copyright Stef Vancaeneghem.
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