10 december 2009

CHOCOMOUSSE


1.

Tellement la trouille de ne jamais te voir, que longtemps j’hésite à te concevoir. Je sais déjà que la vie ne fait pas de cadeaux, à quel point c’est triste Orly, quand on vient droit du soleil mourir à Paris en allongant le pas. Dans la grisaille, loin des Marquises où les femmes sont lascives et gémir n’est pas de mise.

Puis tu es là au rendez-vous, toute brune et toute nue sous le lin que font danser tes petits pieds. Tes mains menues serrées en position défense, comme pour parer les coups durs que te réserve ton atterrissage forcé par voie Césarienne.

Tes cris me hurlent un truc qui me colle au corps et au coeur. Comme le chant des cricris au petit matin le long de la chaussée Romaine vers Sollies-Pont, sur la route de tes futures baignades au soleil.

Ton soleil à toi se met à briller tout de suite, très fort et de partout. Dans les yeux caviar de ta maman, ses yeux qui sont à toi désormais. Et il brille au fond de mon coeur, immergé d’un bonheur inconnu qui me fait plus fou que je ne suis déjà, de toi.

Chambre 27. Je veux des amaryllis comme si il en pleuvait. Et puis des bulles à flots au nom de coquelicots, pour le monde entier. Comme pour effacer très vite dans ma tête la vue de ce sang en pointillé sur les blouses vertes qui t’accueillent au bloc opératoire. Celui qui, très gentiment, m’a dit qu’exceptionnellement je pourrais bien assister à ta venue dans ce bas monde, qu’on me retienne ou je lui tranche la carotide au scalpel. Moi qui ne supporte déjà pas la vue de la moindre petite goutte de globules.

(Je ne t’ai jamais dit qu’en rhéto au collège épiscopal on m’a envoyé un jour de mai voir les macchabées de la fac de médecine pour voir un peu si cela me tenterait une existence d’esculape? Des étudiants en blouse blanche qui dépècent des bouts de coeurs en papotant, comme si ils épluchaient des patates, non merci).

Rentrons vite chez nous.
Quittons ces lieux de sang et de misère.
Emmenons ton petit berceau en osier tout blanc et tout bleu.

*

Puis ça démarre, en musiques de marionettes. Il était une fois ta chambre tapissée de marguerites. On t’a mis des clowns qui descendent en benji. Des poupées qui te font des mélodies douces. Tes deux grands frères ont pour charge de te protéger des lions dans le noir. Et on démarre une autre histoire.

La tienne, petite princesse.

‘Choco Mousse’
Roman.
Copyright Stef Vancaeneghem.